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  Histoire 22/05/2025 06 06 59 (UTC)
   
 
GNOKANE Adama, La Colonie du Sénégal et les Emirats du sud-ouest mauritanien à la fin du XIXe siècle, MASADIR : Cahiers des Sources de l'Histoire de la Mauritanie, n°3, 2002, pp. 17-27. La Colonie du Sénégal et les Emirats du sud-ouest mauritanien à la fin du XIXième siècle Adama GNOKANE Département d’Histoire/Université de Nouakchott La dernière décennie du XIX° siècle marque un tournant dans les relations sénégalo-maures. Elle est surtout caractérisée par des interventions plus engagées dans les questions maures. Ces interventions auront surtout pour but d’appuyer l’autorité des chefs que la Colonie du Sénégal avait souverainement reconnus ou à régler des litiges locaux. Et c’est au Trarza qu’elles prendront leur point de départ et se poursuivront jusqu’en 1902 date à laquelle le pays maure aura à faire face à la pénétration coloniale. Dans le présent texte, nous évoquerons les raisons de ce changement d’attitude de la Colonie du Sénégal vis-à-vis des émirats du sud-ouest mauritanien et leurs prolongements politiques1. I-Intervention française dans les crises politiques du bas Sénégal : 1-Crises de succession au Trarza La paix imposée par Faidherbe aux émirs du Trarza et du Brakna après une guerre de trois ans avait créé une situation d’instabilité politique dans les deux émirats. Cette paix s’est traduite par une série d’assassinats motivés par la recherche du pouvoir. Ainsi, au Trarza, avaient successivement disparu par les armes Mohamed El Habib (1829-1860), Sidi M’Boïrika, son fils et successeur (1860-1871), Ahmed Saloum I (1871-1873), Ely N’Djeumbeut (1873-1886), et Mohamed Vall en 1886 ; et au Brakna, Sidi Ely ould Ahmédou s’est débarrassé de son rival Mohamed Sidi en décembre 1858. Cette situation était naturellement à mettre au compte de la nouvelle politique française, qui était une politique de cantonnement et de privation. Mais dans tous ces événements, la Colonie du Sénégal était restée neutre, se bornant à condamner l’assassinat comme moyen d’appropriation du pouvoir, et à rappeler à l’émir nouvellement investi les engagements souscrits par son prédécesseur. Mais pour la décennie qui commence en 1891, il en est tout autrement. L’engagement des autorités sénégalaises dans les questions reste patent. En 1891, une nouvelle crise éclate au Trarza : il s’agit comme d’habitude d’une crise de compétion pour le pouvoir, un phénomène devenu classique dans cet émirat depuis 1860. Cette dernière qui s’ouvre, oppose Amar Saloum, émir du Trarza depuis 1886, dernier fils de Mohamed El Hebib, à Ahmed Saloum2 fils d’Ely N’Djeumbeutt, son neveu qui l’avait pourtant soutenu dans l’élimination de Mohamed Vall Ould Sidi. 1 Ce texte quelque peu remanié a été tiré de notre thèse: La politique française sur la rive droite du Sénégal: Le pays maure (1817-1903). Thèse de Doctorat du 3° Cycle, Université de Paris I-Panthéon-Sorbonne, mai 1987. 2 Appelé aussi Ahmed Saloum II parce qu'un autre portant le même nom avait régné sur le Trarza de 1871 à 1873. GNOKANE Adama A l’époque où surgit cette nouvelle agitation, Amar Saloum se débat dans de multiples problèmes: il a maille à partir avec son Ministre Khayaroum Ould Mokhtar Sidi qu’il accuse d’avoir détourné à son profit une partie des coutumes devant lui revenir ; il est en difficulté avec certains princes qui l'accusent de mener une politique de rapprochement avec les Oulad Dahmane; ses créanciers de Dagana et de Saint-Louis le pressent pour qu’ils libèrent ses dettes ; la Colonie du Sénégal lui reproche à son tour d’avoir manqué à ses engagements : contre un cadeau de 100 pièces de guinée, il devait mener une expédition contre Abdoul Bokar Kane et Aliboury N’Ndiaye tous deux hostiles aux Français , et qui avaient trouvé refuge auprès des Idouaïch-Abakak. Un conflit dans les émirats maures et lorsqu'il oppose des fractions royales a toujours comme première conséquence de perturber sinon de paralyser la traite de la gomme. C'est pour éviter cette situation toujours préjudiciable aux intérêts de Saint-Louis que le gouverneur du Sénégal, Henri Lamothe se rendit à Richard-Toll dans les derniers jours du mois de juillet 1891 afin de réconcilier l’oncle et son neveu. Mais Amar Saloum ne se présenta pas le jour fixé, trompé par son ministre Khayaroum Ould Moctar Sidi. Prenant prétexte de cette absence, le 4 août, Henri Lamothe fit reconnaître Ahmed Saloum II comme seul chef des Trarza, et le 8 octobre de la même année, exploitant l’état de faiblesse dans lequel se trouvait leur protégé, il lui fit conclure un traité dont les principales dispositions sont : « Article premier : Le gouvernement français reconnaît comme roi des Trarza Ahmed Saloum, fils d’Ely et petit-fils de Mohamed El Habib. En cas de mort les Trarza choisiront un nouveau roi d’après leurs coutumes. Toutefois le Gouvernement français s’engage à ne pas reconnaître le nouveau roi s’il a assassiné ou fait assassiné son prédécesseur dans le but de le remplacer » . C’est là un fait nouveau puisque depuis 1819, la Colonie du Sénégal n’était plus intervenue dans les querelles de succession. A l’époque, en guerre contre Amar Ould Moctar qui s’opposait aux projets agricole dans le Walo, elle avait fait reconnaître Mohamed Ould Ely Kowri comme l’héritier légitime des Trarza3. Par l’article 2: « Ahmed Saloum agissant en son nom et au nom de ses successeurs demande à ce que les Trarza soient placés sous le protectorat français". Il faut voir dans cet article le pendant de la politique suivie depuis 1858 par Faidherbe pour le démembrement du Fouta. Le gouvernement du Sénégal promet assistance aux Trarza chaque fois qu’ils seront menacés par des populations ne relevant pas de l’autorité française ; mais en cas d’opérations conjuguées, les troupes seront placées sous le commandement d’un officier français. Enfin une coutume de 2000 pièces de guinée destinée à l’aider à asseoir son autorité, mais aussi à payer les dettes contractées par son prédécesseur lui est allouée4. 3 Bouët-Willaumez avait aussi en 1844 fait déporter au Gabon Moctar Sidi qui était en lutte contre Mohamed Ould Ragel pour la chefferie de l'émirat du Brakna. 4 Archives Nationales de France (ANF): Traités, carton I, 11 et carton I, 39. A partir de ce traité disposition était prise: "En cas de contestation sur les termes du traité, le texte français seul fera foi…" Revue du Laboratoire d'Etudes et de Recherches Historiques (LERHI) 18 La Colonie du Sénégal et les Emirats du sud-ouest mauritanien à la fin du XIXième siècle Par cet acte, la Colonie du Sénégal s’affirmait désormais comme protectrice du Trarza, sinon comme sa suzeraine ; elle se donnait le droit légitime d’y mener des actions militaires, et partant d’y asseoir son autorité puisque l’émir en titre renonçait théoriquement à ses prérogatives. Ce traité qui frappe par le nombre de ses signataires, 31 personnes , 8 du côté des Trarza et 23 du côté du Sénégal, mesure destinée sans doute à fidéliser Ahmed Saloum allait inspirer ceux que la Colonie devait conclure avec les Brakna, les Oulad Ely du Gorgol, les Oulad Yahya ben Othman de l’Adrar, les Idouïach Chratit et Abakak. Pour mieux renforcer la position d’Ahmed Saloum, le concours du Walo fut sollicité. Le 25 mai 1892, l’émir, sous les auspices des autorités du Sénégal passait une convention avec Yamar Mbodj, chef supérieur du Walo, auquel d’ailleurs Ahmed Saloum était apparenté par sa grand-mère Djeumbeut. Malgré ce double appui qui renforçait la position d’Ahmed Saloum, Amar Saloum n’en continua pas moins à chercher à récupérer son titre, multipliant les expéditions contre son neveu. Et dans les premiers jours de février 1893, sur ordre du Ministre de la Marine et des Colonies, s’ouvraient à Saint-Louis des négociations, entre Ahmed Saloum et son oncle, en présence du gouverneur Henri Lamothe. Dans le souci de diviser pour régner, Henri Lamothe proposa aux deux adversaires, une partition du Trarza par une ligne nord-sud : la partie orientale sera attribuée à Amar Saloum qui portera le titre de « Cheikh des Oulad Ahmed ben Dahmane », et recevra une coutume annuelle de 500 pièces de guinée ; la partie occidentale sera administrée par Ahmed Saloum qui portera le titre d’émir des Trarza5. Amar Saloum, fort de son droit d’émir légitimement élu par la djema’a des Oulad Ahmed Ben Dahmane, mais aussi de son droit d’ascendant car ne l’oublions pas, il est l’oncle d’Ahmed Saloum, rejeta la proposition, exigeant la restitution et de son titre d’émir et son territoire. La colonie du Sénégal ne vit d’autre mesure que son élimination physique, lui reprochant son intransigeance. Le télégramme qu’il adressa à l’administrateur de Podor était assez explicite sur la question. Il était ainsi conçu : « Négociations avec Amar Saloum interrompues par suite prétentions de cet ancien chef. Il embarque sur le Saint-Kilda, et retourne à son camp avec sauf-conduit du gouverneur, valable pour dix jours… Ce délai passé, gouverneur autorise Sidi Ely à se joindre à Ahmed Saloum et Ould Aïda pour en finir avec cet agitateur. Veuillez le faire savoir à Sidi Ely et Sidy Ahmed et à tous ceux que la chose peut intéresser6 ». La cause était entendue, et c’est de justesse qu’Amar Saloum, sur le chemin du retour ne tomba pas entre les mains de ses ennemis auxquels l’administrateur Riquetty chargé de le reconduire sous bonne escorte, voulait le livrer. Amar Saloum tint la brousse pendant 8 mois. Le 14 octobre 1893, il est fait prisonnier au cours d’une rencontre avec les partisans d’Ahmed Saloum, et exécuté séance tenante. 5 ANF : Sénégal IV, 65 c. Proget d'arrangement entre le gouverneur du Sénégal et Amar Saloum. Février 1893. 6 ANM. E1/100: Directeur des Affaires politiques à Administrateur de Podor. Saint-Louis le 11 février 1893. MASADIR : Cahiers des Sources de l'Histoire de la Mauritanie, n°3 (2002 19 GNOKANE Adama Devenu seul maître du Trarza, Ahmed Saloum ne tarda pas à manifester des velléités d’indépendance vis-à-vis de ceux-là mêmes qui l’avaient soutenu. A la fin de l’année 1893, il fit bloquer pendant un certain temps les pistes caravanières aboutissant à l’escale de Dagana, violant ainsi le traité du 8 octobre par lequel il s‘était engagé à garantir la liberté du commerce. Par ailleurs, il dénonça la convention du 25 mai 1892 conclue entre lui et Yamar Mbodj qui, à ses yeux, accordait plus d’avantages aux noirs du Walo. L’intervention des autorités sénégalaises aboutit sous la date du 10 septembre 1894, à une nouvelle convention qui stipulait que les Walo-Walo repasseraient le fleuve, mais qu’en retour concours apporté à Ahmed Saloum dans l’élimination d’Amar Saloum, Yamar Mbodj recevrait une indemnité de 5000 pièces de guinée, et que la colonie du sénégal se réservait le droit d'opérer des retenues sur les coutumes D'Ahmed Saloum au cas où celui-ci montrerait de la mauvaise volonté7. 2- L'invertion française dans le conflit entre Oulad Biri et Diédiouba Trois années après la disparition d’Amar Saloum, un autre conflit vint agiter le pays maure du bas fleuve. Celui-ci localisé au Brakna opposait deux tribus maraboutiques, les Oulad Biri et les Diédiouba Et une fois encore, les autorités sénégalaises devaient intervenir pour rétablir l’ordre en pays maure. Nomadisant dans l’Améchtil à la frontière entre le Brakna et le Trarza, utilisant les mêmes points d'eau notamment les puits de Boutalhaya, Hassi El Afia et d'Aghdakel, Oulad Biri et Diédiouba vivent depuis 1860 dans un climat d’hostilité latente. Une série d’assassinats dont les Oulad Biri, se seraient rendus coupables sur les Diédiouba seraient à l’origine de cette situation que vinrent aggraver des contestations de terrains de culture et de puits Et lorsqu’en novembre 1895, des propos, puis des coups furent échangés autour d’un puits entre tributaires des deux groupes venus abreuver leur troupeau, ce fut suffisant pour ranimer les vieilles querelles, réveiller des sentiments de haine mal éteints. En effet c’est cet incident qui allait une fois encore opposer les deux tribus. Les hostilités commencèrent au mois de novembre 1895, se caractérisant de part et d’autre par d’importantes razzias de bétail. Une première tentative de négociation eut lieu au début de l’année 1896, mais sans succès. Les opérations de razzias reprirent de plus belle, et vers le milieu de la même année, le conflit s’élargit avec l’entrée en scène d’Ahmed Saloum et d’Ahmédou Ould Sidi Ely, celui-ci soutenant les Diédiouba, et celui-là les Oulad Biri. Inquiètes de voir le conflit paralyser le commerce de la gomme, mais inquiètes surtout de voir renaître les vieilles ambitions expansionnistes que les Trarza n’avaient jamais cessé de nourrir à l’endroit des Brakna8, les autorités sénégalaises intimèrent aux deux émirs l’ordre de trouver une prompte solution au conflit qui opposait les deux tribus. 7 Journal Officiel du Sénégal et Dépendances. Samedi 23 septembre 1894. 8 Maints émirs du Trarza avaient tenté par le passé d'envahir l'émirat du Brakna: ce furent notamment Mohamed El Habib, Sidi M'Boïrika, Ely N'Djeumbeutt, et à chaque fois la Colonie du Sénégal s'y était opposée. Revue du Laboratoire d'Etudes et de Recherches Historiques (LERHI) 20 La Colonie du Sénégal et les Emirats du sud-ouest mauritanien à la fin du XIXième siècle C’est alors que des négociations s’ouvrirent à partir de juillet 1896 mais traînèrent en longueur. Ce n’est qu’au mois de novembre de la même année que les deux émirs réunis à Beïrel Barka au Brakna parvinrent à un accord de paix dont les clauses sont : les Oulad Biri iraient habiter les Trarza et se sépareraient des Oulad Ahmed tribu royale du Brakna, en constant état de rébellion contre les Oulad Seyyid; les biens pris de part et d’autre seraient restitués. Et pour sceller cette réconciliation, Ahmédou offrit à Ahmed Saloum un présent composé de : 4 chevaux, 4 chameaux et 4 esclaves. Mais la paix ne devait pas en être moins violée. En effet, un mois plus tard, Oulad Biri et Diédiouba reprenaient leurs opération de pillage, aidés de par et d’autre par les tribus princières qui trouvaient-là une occasion légitime de razzier et les unes et les autres Une nouvelle intervention des autorités sénégalaises aboutit sous la date du 23 mai 1898, à la signature d’une convention entre les deux émirs. Elle stipule en son article 5 : « Si l’une des parties contractantes venait à violer ou même à ne pas faire exécuter la présente convention, le gouvernement français se réserve le droit d’opérer sur les coutumes payées soit à l’émir des Trarza, soit à l’émir des Brakna, toutes retenues nécessaires pour indemniser des dommages causés »9. Malgré ces menaces qui planaient sur leurs revenus, Ahmed Saloum et Ahmédou furent incapables de maintenir la paix entre leurs sujets. A la fin de l’année 1898, le conflit va se circonscrire entre Ahmed Saloum et Ahmédou Ould Sidi Ely. Pendant deux mois, de novembre à décembre, Ahmed Saloum fait bloquer les pistes caravanières aboutissant à l’escale de Podor, et exige que les coutumes d’Ahmédou lui soient à l’avenir versées, laissant entendre que toute la gomme qui se traitait à Podor, venait de son pays. Des protestations assorties de menaces des autorités sénégalaises l’obligent à débloquer les pistes. Et à la fin de l’année 1899, la paix est définitivement signée entre les deux émirs, à la suite du mariage d’Ahmed Saloum avec la soeur d’Ahmédou Ould Sidi Ely, Vatma Mint Sidi Ely . II- Agitation généralisée dans le bas Sénégal Mais à la fin de cette même année 1898, Ahmed Saloum doit faire face à de nouvelles difficultés mais cette fois-ci d’ordre intérieur. Sidi Ould Mohamed Val dont le père10 avait été tué par lui et par Amar Saloum, se pose maintenant en compétiteur pour la chefferie du Trarza. Bénéficiant d’un fort soutien des Oulad Ahmed ben Dahmane et appuyé par Khayaroum ould Moctar Sidi, l’instigateur de tant de « révolutions de tentes », Sidi remporte les premiers succès et reste pendant de longs mois maître d’une bonne partie 9 ANM. E1/103. Convention portant règlement du différend Oulad Biri et Diédiouba, mai 1898. 9 10 Le règne de l'émir Mohamed Vall ould Sidi n'avait duré que deux mois, octobre et novembre1886 MASADIR : Cahiers des Sources de l'Histoire de la Mauritanie, n°3 (2002 21 GNOKANE Adama du Trarza. Mais en janvier 1902, Ahmed Saloum aidé par les troupes du Walo placées sous le commandement de Yamar M’Bodj réussit à disperser les forces de Sidi à restaurer son autorité sur tout le territoire. Mais peu après, il se fait battre à nouveau par Sidi, et est contraint d’évacuer le Trarza. Dans cette nouvelle agitation, le Brakna n’est pas en reste. Les Touabir, tribu guerrière engagée depuis 1899 dans un conflit de succession, se livrent à des pillages qui n’épargnent ni les tribus maraboutiques, ni les populations noires de la rive droite du Sénégal. C’est en vain qu’Ahmédou tente de rétablir l’ordre sur ses sujets. Le Gorgol connaît les mêmes troubles. Sid’Ahmed Ould Heyba mécontent que l’escale de Kaédi ne lui soit pas rendue11 fait piller par ses alliés les Kounta Moutakambirine, les Oulad Aïd et les Touabir, les villages de la vallée échelonnés entre Saldé et Matam. Cette effervescence sur la rive droite du fleuve se double à partir de 1901 de menaces extérieures. Des informations parvenues à Saint-Louis dans le courant du mois de janvier signalent que le Maroc cherche à créer une coalition contre la présence. Et c’est cette situation qui menace sérieusement l’influence française dans cette partie de l’ouest africain qui va hâter « la pénétration pacifique », et l’occupation militaire du pays maure. III-Unification des possessions françaises de l’Ouest africain Hamid El Mauritanyi, auteur d'un ouvrage intitulé "La Mauritanie… néocoloniale", justifie la conquête de l’espace mauritanien comme uniquement destinée à assurer la sécurité des populations noires contre les pillages maures. Ces propos méritent d'être nuancés même si depuis le milieu du XIX° siècle des gouverneurs tels que Pageot des Noutières (1842-1843) et Bouet-Willaumez (1843-1844) avaient préconisé de protéger les populations noires; les motifs de la conquête de la Mauritanie ne se limitent pas seulement à ce souci sécuritaire à l'endroit des populations noires, mais traduisent plutôt une ambition plus large , celle de l’unification des possessions françaises de l’Afrique du nord à celles de l’Afrique occidentale, une unification devenue nécessaire depuis que les dernières résistances s’étaient effondrées. Il s’agissait par ailleurs de mettre un frein aux opérations de pillage qui étaient devenues de plus en plus fréquentes à la fin du XIX° siècle et dont les tribus maraboutiques étaient les principales victimes. 1 le contexte politique Qu'il soit régional ou périphérique, le contexte politique est favorable aux autorités sénégalaises. A l’ouest, le Cayor et le Djolof après des années de résistance avaient dû accepter la suprématie coloniale ; le Cayor est annexé à la Colonie du Sénégal depuis 1886; Ali Boury N’Diaye, le « bourba » du Djolof refusant la domination coloniale, a rejoint 11 Sid'Ahmed Ould Heyba avait été démis de ses fonctions de chef d'escale de Kaédi en 1893. Il avait été remplacé par Ahmed Mahmoud Ould Filali, des Oulad Aïd du Gorgol( Agueïlat). Revue du Laboratoire d'Etudes et de Recherches Historiques (LERHI) 22 La Colonie du Sénégal et les Emirats du sud-ouest mauritanien à la fin du XIXième siècle Abdoul Bokar Kane sur la rive droite en 1890. A l’est dans le Haut-Sénégal-Niger, Archinard avait contraint Ahmadou Cheikhou à la fuite s’emparant ainsi de l’Empire fondé par El Hadj Omar. Samory qui incarnait la résistance contre l’intrusion coloniale en pays mandingue avait été fait prisonnier en 1898 et déporté au Gabon. Dans la périphérie, depuis l’annexion du Walo à la colonie du Sénégal en 1855, l’expansion française le long du Sénégal s’est poursuivie avec notamment le démembrement du Fouta dont Faidherbe s’était fait l’ardent exécutant. En 1891, après le bombardement de Kaédi qui eut lieu le 29 septembre 1890, le Fouta est définitivement placé sous le protectorat français ; la même année, cinq villages du Guidimaka, Sélibaby, Jogountourou, Kugnagol, Djaguili et Godiowol se sont placés sous le protectorat pour échapper aux pillages des Idouaïch, et un poste de surveillance est même créé à Sélibaby ; enfin, signalons que depuis 1856, N’Diago aussi sur la rive droite du Sénégal à quelques kilomètres de Saint-Louis est déjà occupé. Donc à la fin du XIX° siècle, les Français avaient déjà des points d'appui sur la rive droite du Sénégal, et il ne restait plus que l’espace compris entre le fleuve Sénégal et les confins sahariens. 2 Création de la «Mauritanie occidentale» C’est dans les derniers jours de l’année 1902 que commence l’occupation du pays maure. Mais depuis 1899, on cessait dans les bureaux parisiens du Ministère des Colonies, d’élaborer des projets pour leur annexion aux autres possessions françaises de l’Afrique occidentale. Xavier Coppolani en est l’initiateur. Xavier Coppolani naquit à Marignana en Corse le 1 février 186612. Mais c’est en Algérie où il a grandi, où il est entré dans l’administration française, exerçant divers emplois. Il y a étudié l’arabe et s’est beaucoup intéressé à l’Islam et à son fonctionnement. En 1897 avec son chef de bureau Octave Dupont, il publie un ouvrage intitulé : Les Confréries religieuses musulmanes. De son expérience, Coppolani tire un certain nombre de lignes de conduites à suivre à l'endroit de l'Islam et des musulmans. A ses yeux, l’Islam ne doit pas être combattu , mais on doit chercher à se le concilier ; par ailleurs, il part du principe que tout musulman obéit à un chef spirituel, et pour le gagner à sa cause, il suffit de s’attirer les sympathies de son guide spirituel ; et par la persuasion on peut pacifiquement dompter des peuples. C’est pourquoi, en 1898, il sollicite auprès du Ministre des Colonies une mission devant le conduire au Soudan français où le Gouverneur Grodet et son successeur le Général de Trentinian n'avaient pu amener à une soumission définitive les tribus maures et touareg du Sahel et de l’Azaouad. Le séjour qui a duré de Décembre 1898 à juillet 1899 lui a permis non seulement d’amener à la soumission les Oulad Daoud, les Allouch, les Oulad M’Bareck, les Mechdouf, mais aussi d’entrer en relations épistolaires avec de grands chefs religieux, tels que Cheikh Mélaïnine, Cheikh Saad-Bouh et Cheikh Sidiya Baba. De retour de cette mission, Coppolani propose la création d’une vaste entité 12 DESIRE-VUILLEMIN,G. 1955, p.29 MASADIR : Cahiers des Sources de l'Histoire de la Mauritanie, n°3 (2002 23 GNOKANE Adama politique à laquelle il donne le nom de « Mauritanie occidentale », une entité politique qui regrouperait Maures et Touareg . C’est sur la base de ce rapport et des propositions formulées par Coppolani qu’une décision en date du 27 décembre 1899 crée la Mauritanie occicidentale : L'article 1 stipule: « Le pays occupé par les maures , limité au nord par l’oued Draâ, le Sahara marocain et le Tanezrouft ; au sud, par le Sénégal et la route que suivent les caravanes , dite ligne de ravitaillement de Kayes, Yélimané, Nioro, Goumbou, Sokolo, Néré, Ras-El-Ma, Tombouctou ; à l’est, par l’Adrar oriental, est constitué en protectorat sous le nom de Mauritanie occidentale13. L'administration de cette nouvelle entité politique est confié à un Résident. Mais ici une remarque s’impose, on a souvent tendance à attribuer à Coppolani la paternité de cette appellation de l’espace mauritanien. C’est inexact car on trouve le mot Mauritanie mentionné dans un article daté de 184614 et antérieurement dans une correspondance du gouverneur du Sénégal Quernel en date de mai 183415. Le mérite de Coppolani est peut-être d'avoir associé le nom de "Mauritanie" à un projet qui devait faire fortune. Le projet de Coppolani daté du 27 décembre 1899, c’est l’acte de naissance de la Mauritanie pour reprendre Geneviève Désiré-Vuillemin, devait être sans cesse remanié parce que touchant à divers intérêts. A Saint-Louis, le Gouverneur Général de l’A.O.F Ernest Chaudié y est foncièrement hostile. « Je ne puis que trouver cette organisation prématurée et grosse de périls pour la paix"16, écrit-il lorsqu’il a été consulté sur la question. Chaudié craint plutôt un amoindrissement de ses prérogatives, trouvant appui auprès des milieux commerçants de Saint-Louis, qui de tous temps se sont opposé à l'immixtion de Saint-Louis dans les questions maures ; d’un autre coté, les gouverneurs du Soudan français et de l’Algérie s’y opposent parce que le projet de Coppolani empiète sur leurs territoires; à Paris même, le Ministre des Affaires étrangères Délcassé émet des réserves parce que dans la « Mauritanie Occidentale » sont incluses des zones qui font l’objet d’un contentieux entre Français et Espagnols à propos du Sahara occidental, et pour lui il fallait ménager la susceptibilité des Anglais qui venaient de rétrocéder au Maroc une factorerie qu'ils avaient établie du Cap Juby17. Ces diverses oppositions n’empêchèrent pas Coppolani de poursuivre son projet décidé à le faire aboutir. Sous la date du 10 mars 1900, il fournit un second rapport au 13 ANM. E1/9: Décision portant organisation des pays maures et touareg. 14 CAILLE,H. "Notes sur les peuples de la Mauritanie et de la Nigritie riveraine du Sénégal". Paris, Revue coloniale, tome X, 1846,pp-1-10 15 Quernel avait été chargé en 1834 de rompre le mariage que l'émir du Trarza Mohamed El Habib avait contracté avec N'Djeumbeuut M'Bodj, une princesse du Walo. 16 ANM. E1 / 9 : Dépêche du Gouverneur à Ministre des Colonies. N°431. Saint-Louis, 24 février 1900. 17 ANM;E1/9 Ministre des Affaires Etrangères à Ministre des Colonies. Paris, le 8 mars 1900 Revue du Laboratoire d'Etudes et de Recherches Historiques (LERHI) 24 La Colonie du Sénégal et les Emirats du sud-ouest mauritanien à la fin du XIXième siècle Ministre des Colonies, définissant l’organisation administrative à donner à la future colonie de Mauritanie. Celle-ci comprendrait cinq régions administratives, à savoir : l’Azaouad, le Hodh, le Tagant, l’Adrar et l’Agan dont les chefs –lieux seraient respectivement pour les quatre premières, Araouane, Oualata, Tichitt, Chinguetti, et pour l’Agan, un centre qui serait créé soit en face de Podor, soit en face de Saint-Louis18. Au mois de novembre de la même année intervint une nouvelle mouture du projet de Coppolani, qui en tenant compte de l’accord passé entre les Gouvernements français et espagnol, le 27 juin 1900 délimitant leur aire d’influence respective, indiquait le 21° parallèle nord comme sa limite septentrionale. A la même date était créé auprès du Gouvernement général de l’AOF, un service des affaires maures « ayant pour objet d’inaugurer une politique d’action unique, pacifique et progressive sur les populations maures et sahariennes "19. Comme son prédécesseur, le Gouverneur du Sénégal Ballay se montra peu favorable au projet d’occupation du pays maure, invoquant la pauvreté et la stérilité des territoires appelés à devenir la Mauritanie, l’impossibilité d’amener à la soumission les tribus qui y habitent, les conflits de compétence qui ne manqueraient pas selon lui d’opposer le Gouverneur général de l’AOF et le Résident de la Mauritanie Occidentale; par contre il était d'accord pour la création d'un service spécial qui aurait à s'occuper des questions maure20. Ces divergences d’opinion que le projet de Coppolani ne cessait de susciter aboutirent à la création sous la date du 6 juillet 1901 d’une commission interministérielle. Celle-ci regroupant des fonctionnaires du Ministère de l’Intérieur, des Affaires Etrangères et des Colonies était chargée d ‘examiner : « La situation respective de l’Algérie et de l’Afrique occidentale française, tant au regard l’une de l’autre, qu’au regard des pays étrangers limitrophes ; d’arrêter leur configuration territoriale, d’étudier leurs relations et leurs moyens de communications, et d’une façon générale, d’élaborer et de soumettre au Gouvernement un programme de reconnaissance et d’organisation de régions dépendant de la sphère d’influence française »21. La commission interministérielle déposa son rapport le 3 mars 1902. En application de son avis, un arrêté réduit à l’Adrar occidental, l’Agan, le Tagant, le Hodh et l’Azaouad, les territoires à placer sous le protectorat français. Par la même occasion, Coppolani est chargé auprès du Gouverneur général de l’AOF d'animer le service des affaires maures, un service destiné à recueillir toutes les informations de tous ordres. Et 18 Manuscrit N° 5942-1.Bibliothèque de l'Institut: "Rapport succint à M: le Ministre des Colonies".X Coppolani, Paris 10 mars 1900. 19 ANM. E1/9 Arrêté instituant auprès du gouvernement général de l'AOF un service spécial des Affaires maures. Novembre 1900. 20 ANM; E1/9 Gouverneur général de l'AOF à Ministre des Colonies. Saint-Louis le 9 janvier 1901. 21 ANM. E1/10 Arrêté portant création d'une commission interminitérielle. Paris le 6 juillet 1901. MASADIR : Cahiers des Sources de l'Histoire de la Mauritanie, n°3 (2002 25 GNOKANE Adama c’est à ce titre qu’il s’embarque pour le Sénégal. Et à partir de là tout devait aller très vite. Coppolani débarque à Saint-Louis à la fin du mois de novembre 1902. Par arrêté du Gouverneur général Ernest Roume, il reçoit mission de ramener la paix dans le Trarza où Ahmed Saloum II soutenu par Cheikh Saad-Bouh et Sidi Ould Mohamed Vall appuyé par Cheikh Sidiya, se disputent le titre émiral. Le 15 décembre, il est à Dagana où il reçoit Ahmed Saloum que Sidi avait contraint une fois encore à évacuer le Traza. Après quatre jours de négociations, Ahmed Saloum abdique au profit des autorités sénégalaises chargées désormais de faire la loi dans son pays. Et en janvier 1903, c’est autour de Sidi de déposer les armes et de faire acte de soumission. Principales victimes de l’état d’anarchie qu’entretiennent les tribus guerrières, les tribus maraboutiques emboîtant le pas aux maîtres du pays, font elles aussi leur soumission22. Aussi lorsque le Commissaire du Gouvernement rentre à Saint-Louis à la fin du mois de février 1903, le Trarza est considéré comme totalement pacifié. Les résultats de cette mission sont sanctionnés par un arrêté du Gouverneur général en date du 12 mai 1903, arrêté par lequel l’administration du Trarza relèvera désormais des autorités françaises23. Le 17 mai, Coppolani reprend le chemin du fleuve pour appliquer la politique dite de pénétration pacifique au Brakna. Le 19 il reçoit à Podor Ahmédou Ould Sidi Ely, ainsi que les chefs des fractions royales Oulad Noghmach, Oulad Seyyid et Oulad Ely, qui à l’instar des chefs du Trarza, déclarent se soumettre aux autorités françaises. Ainsi étaient jetés les premiers jalons de la conquête du pays maure. Conclusion Si la Colonie du Sénégal avait aidé à l’émergence des émirats du sud ouest mauritanien car rappelons-le, Les Français avaient pris une part active dans l’élimination du mouvement de Nacer Eddine, c’est cette même Colonie qui jeta les bases de leur destruction par la politique mise sur pied par Faidherbe à partir de 1858. En effet, en rejetant et en cantonnant Trarza et Brakna sur la rive droite, en faisant des émirs les seuls bénéficiaires des coutumes, Faidherbe avait accentué les contradictions internes, rendu plus âpres et plus fréquentes les crises de succession. L’instabilité politique que connut le Trarza dans la seconde moitié du XIX° siècle et qui se caractérise par de fréquentes « révolutions de tentes » assorties d’assassinats en est une véritable illustration. Et c’est cette instabilité qui devait amener les autorités sénégalaises dans la dernière décennie du XIXe siècle, à intervenir plus directement dans les questions maures et à justifier la conquête des émirats du sud-ouest mauritanien, une conquête entamée à partir de 1902. 22 L'ensemble des actes de soumission est classé dans ANM/103 23 ANM. E1/7 Arrêté portant protectorat sur le pays maure du Bas Sénégal. Saint-Louis le 12 mai 1903. Revue du Laboratoire d'Etudes et de Recherches Historiques (LERHI) 26
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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